19

Une semaine après mon retour chez Progressive Records, Mme Sadassa Silvia se présenta pour solliciter un emploi. Elle ne désirait pas enregistrer chez nous, nous prévint-elle ; elle voulait un boulot dans le genre de celui que je faisais : auditionner d’autres artistes. Elle se tenait devant mon bureau, vêtue d’un pantalon rose à pattes d’éléphant et d’une chemise d’homme à carreaux, son manteau sur le bras, son mince visage pâle de fatigue. Apparemment, elle avait fait un bon bout de chemin à pied.

« Je n’embauche personne, lui dis-je. Ce n’est pas mon travail.

— Oui, mais c’est votre bureau qui est le plus proche de la porte, déclara Mme Silvia. Je peux m’asseoir ? » Sans attendre, elle s’installa dans l’un des fauteuils qui faisaient face à ma table de travail. Elle était entrée dans mon bureau ; j’avais laissé la porte ouverte. « Vous voulez voir mon curriculum vitæ ?

— Je n’appartiens pas au service du personnel », répétai-je.

Mme Silvia me regarda à travers les verres assez épais de ses lunettes. Elle avait un joli visage aux traits effrontés, tout à fait comme dans les deux rêves où elle m’était apparue. J’étais surpris de sa petite taille ; elle avait l’air d’une minceur inusitée, et j’avais l’impression qu’elle n’était pas forte sur le plan physique, qu’en fait elle n’allait pas bien. « Euh, est-ce que je peux rester ici une seconde pour reprendre mon souffle ? fit-elle.

— Oui, dis-je en me levant. Puis-je vous offrir quelque chose ? Un verre d’eau ?

— Vous avez une tasse de café ? »

Je lui servis du café ; elle regardait dans le vide droit devant elle, immobile, un peu affaissée dans son fauteuil. Elle était bien habillée, et avec goût, de manière très moderne, dans un style du sud de la Californie. Elle portait un bibi blanc bien enfoncé sur sa chevelure noire à la coupe afro naturelle.

« Merci. » Elle me débarrassa du café et je remarquai la beauté de ses mains ; elle avait de longs doigts et des ongles méticuleusement manucurés, vernis mais incolores. C’est une fille qui a une sacrée classe, me dis-je. Je lui donnais un peu plus d’une vingtaine d’années. Quand elle parlait, sa voix était enjouée et expressive, mais son visage demeurait impassible, dépourvu de chaleur. Comme si quelque chose la minait, pensai-je. Comme si elle avait eu des tas d’ennuis dans sa vie.

« Vous voulez travailler comme quoi ? demandai-je.

— Je connais la sténo et je tape à la machine, et j’ai fait deux ans d’études supérieures spécialisées dans le journalisme. Je peux m’occuper de vos blablas de promo ; j’ai travaillé pour les publications universitaires du Santa Ana College. Elle avait les dents les plus parfaites, les plus ravissantes que j’eusse jamais vues, et des lèvres assez sensuelles – par contraste avec la rigueur de ses lunettes. C’était comme si la moitié inférieure de son visage s’était rebellée contre une austérité imposée par une formation subie dans son enfance ; je devinais une vaste nature physique, réprimée par une retenue morale délibérée. Cette fille, tranchai-je, calcule le moindre de ses gestes. Calcule ce que ça peut valoir avant de le faire. C’est une personne hautement contrôlée, qui ne se laisse pas aller à la spontanéité.

Et, conclus-je, très brillante.

« Quel genre de guitare avez-vous ? demandai-je.

— Une Gibson. Mais je ne joue pas professionnellement.

— Est-ce que vous écrivez des chansons ?

— Seulement de la poésie. »

Je citai : « Il faut que tu mettes tes pantoufles/Pour avancer vers l’aube. »

Elle se mit à rire, d’un rire de gorge, chaleureux. « Oh, oui. Ode à Empédocle.

— Quoi ? fis-je, hésitant.

— Vous avez dû lire ça dans mon annuaire de lycée.

— Comment aurais-je pu le lire dans votre annuaire de lycée ? »

Mme Silvia demanda : « Quand l’avez-vous lu ?

— J’ai oublié, dis-je.

— Une de mes amies l’a inscrit sous mon portrait. Elle voulait dire que je suis trop idéaliste, je suppose. Que je n’ai pas les pieds sur terre, que je fonce dans tous les sens… Je me lance dans des causes diverses. Elle était très critique à mon égard.

— Vous feriez mieux d’aller voir au service du personnel », lui dis-je.

Certains aspects du rêve avaient été corrects. À d’autres points de vue, il passait complètement à côté. En tant que précognition (c’était comme ça que Phil l’aurait appelé) une réception défectueuse ou une transduction ou une interprétation fautive due à mon esprit plongé dans le rêve avait gravement faussé l’information. Il m’était difficile de faire enregistrer quelqu’un qui pouvait prendre des notes sous la dictée. Nous ne vendrions pas trop ce genre de choses. Il m’était difficile de mettre en œuvre les directives du rêve, que celles-ci provinssent de SIVA ou non.

Pourtant, il demeurait stupéfiant qu’une si grande partie fût pertinente. Le rêve avait mentionné le nom exact, et elle avait effectivement l’allure, dans la vie réelle, sous laquelle elle était apparue sur le cliché et la pochette de l’album. Même s’il n’y avait rien d’autre, cela prouvait la réalité des rêves prémonitoires ; rien d’autre car, selon toute vraisemblance, ça s’arrêtait là. Si elle décrochait le moindre boulot chez nous, ça relèverait du miracle ; à ma connaissance, nous avions déjà trop de personnel.

Reposant sa tasse de café, Mme Silvia se leva et m’adressa un bref sourire plein d’allant. « Peut-être vous reverrai-je. » Elle quitta mon bureau en marchant à pas lents, presque chancelants ; je remarquai à quel point ses jambes paraissaient fines, quoique cela fût difficile à estimer avec les pattes d’éléphant.

Après avoir fermé la porte de mon bureau, je m’aperçus qu’elle avait laissé son curriculum vitae et ses clés. Née dans le comté d’Orange dans la ville de Yorba Linda, en 1951… Je ne pus m’empêcher de survoler le curriculum vitae alors que je quittais mon bureau pour essayer de la rattraper dans le couloir. Nom de jeune fille : Sadassa Aramchek.

Je m’immobilisai, curriculum vitae en main. Père : Serge Aramchek. Mère : Galina Aramchek. Était-ce pour cela que l’IA monitrice m’avait guidé vers elle ?

Alors qu’elle surgissait des toilettes pour dames, je m’approchai d’elle, la stoppai.

« Avez-vous jamais vécu à Placentia ? lui demandai-je.

— C’est là-bas que j’ai grandi, dit Sadassa Silvia.

— Vous connaissiez Ferris Fremont ?

— Non. Il était déjà parti à Oceanside quand je suis née.

— J’habite à Placentia, dis-je. Un soir, un ami et moi avons trouvé le nom “Aramchek” gravé sur le trottoir.

— C’est mon petit frère qui a fait ça, dit Sadassa Silvia dans un sourire. Il avait un pochoir et il faisait ça un peu partout.

— C’était à l’entrée du pâté de maisons où se trouve la maison dans laquelle est né Ferris Fremont.

— Je sais, dit-elle.

— Y a-t-il un quelconque rapport entre…

— Non, coupa-t-elle d’une voix très ferme. C’est juste une coïncidence. On me posait tout le temps cette question à l’époque où j’utilisais mon vrai nom.

— “Silvia” n’est pas votre vrai nom ?

— Non ; je n’ai jamais été mariée. J’ai dû me mettre à utiliser un autre nom à cause de Fremont. Il a rendu impossible de vivre en s’appelant Aramchek. Vous Pouvez comprendre ça. J’ai choisi Silvia, sachant que les gens retourneraient automatiquement et penseraient que je m’appelais Silvia Sadassa. » Elle sourit, dévoilant ses dents parfaites, ravissantes.

Je dis : « Je suis censé signer un contrat d’enregistrement avec vous.

— Pour que je fasse quoi ? Jouer de la guitare ?

— Chanter. Vous avez une merveilleuse voix de soprano ; je l’ai entendue. »

S’en tenant aux faits, Sadassa Silvia affirma : « Je n’ai pas une voix de soprano ; je chante dans le chœur à l’église. Je suis épiscopalienne. Mais ce n’est pas une belle voix ; je ne l’ai pas vraiment travaillée. Le mieux que je puisse faire, c’est quand je suis un peu saoule et que je chante des hymnes paillards dans l’ascenseur de l’immeuble où j’habite.

— Je peux seulement vous dire ce que je sais », déclarai-je. De toute évidence, une bonne partie de ce que je savais ne collait pas.

« Voulez-vous que je vienne avec vous au service du personnel ? demandai-je. Et que je vous présente à…

— Je lui ai parlé.

— Déjà ?

— Il sortait de son bureau. Il dit que vous n’embauchez pas. Vous êtes en surnombre.

— C’est exact », dis-je. Nous restions face à face.

« Pourquoi avez-vous choisi Progressive Records, demandai-je, pour essayer d’obtenir un poste ?

— Vous avez de bons artistes. Des interprètes que j’aime. Je suppose que c’était un fantasme, le désir de réaliser un rêve, comme la plupart de mes idées. Ça avait l’air plus excitant que de travailler pour un avocat ou un responsable de compagnie pétrolière.

— Et vos poèmes ? fis-je. Pourrai-je en voir quelques-uns ?

— Bien sûr, dit-elle en hochant la tête.

— Et vous ne chantez pas quand vous jouez de la guitare ?

— Juste un peu. Je fredonne vaguement.

— Je peux vous offrir à déjeuner ?

— Il est trois heures et demie.

— Je peux vous offrir un verre ?

— Il faut que je conduise pour regagner le comté d’Orange. Ma vue s’évanouit complètement quand je bois. J’étais totalement aveugle quand j’étais malade ; je me cognais contre les murs.

— De quoi étiez-vous malade ?

— Cancer. Un lymphome.

— Et vous allez bien, maintenant ?

— Je suis en rémission, dit Sadassa Silvia. J’ai fait de la cobalt-thérapie et de la chimiothérapie. Ma rémission s’est déclarée il y a six mois, avant que j’aie fini mon traitement de chimio.

— C’est une très bonne chose, dis-je.

— Ils disent que si je vis encore un an, je vivrai probablement cinq ou dix ans ; il y a des gens qui se promènent et qui sont en rémission depuis aussi longtemps que ça. »

Ça expliquait pourquoi elle avait les jambes si maigrichonnes et pourquoi elle donnait une impression de fatigue, de faiblesse et de mauvaise santé.

« Je suis désolé, dis-je.

— Oh, ça m’a beaucoup appris. J’aimerais entrer dans les ordres. Peut-être l’Église épiscopale finira-t-elle par ordonner des femmes. Pour l’instant, les perspectives n’ont pas l’air fameuses, mais d’ici que j’aie fini mes études supérieures et mon séminaire, je pense qu’ils y viendront.

— Je vous admire.

— Quand j’étais très malade l’an dernier, j’étais sourde et aveugle. Je prends encore des médicaments pour éviter les crises… Le cancer m’a touché la colonne vertébrale et le liquide cervical avant que je n’aie ma rémission. » Après une pause, elle ajouta d’une voix neutre, méditative : « Mon médecin dit qu’on ne connaît personne qui ait vu la maladie gagner son cerveau et… survécu. Il dit que si je vis une année de plus il écrira sur mon cas.

— Vous êtes vraiment quelqu’un, dis-je, impressionné.

— D’un point de vue médical, oui. Sinon, je ne sais rien faire d’autre que taper à la machine et écrire sous la dictée.

— Savez-vous pourquoi vous avez eu une rémission ?

— On ne le sait jamais. C’est la prière, je crois. Je disais aux gens que Dieu me guérissait ; c’était quand je ne pouvais rien voir et que je ne pouvais rien entendre et que je faisais des crises – à cause du traitement – et que j’étais toute bouffie et que mes cheveux étaient… (elle hésita)… tombés. Je portais une perruque, je l’ai toujours. Au cas où.

— Je vous en prie, laissez-moi vous offrir quelque chose, dis-je.

— Vous m’achèteriez un stylo à encre ? Je n’arrive pas à tenir un stylo-bille normal ; c’est trop petit. Je n’ai qu’une faible capacité de préhension de la main droite ; tout ce côté-là est encore défaillant. Mais la force revient.

— Vous arriveriez à tenir un gros stylo à encre ?

— Oui, et je peux me servir d’une machine à écrire électrique.

— Je n’ai jamais rencontré quelqu’un comme vous avant, dis-je.

— Vous avez probablement de la chance. Mon petit ami me trouve ennuyeuse. Il cite toujours Chuckle the Chipmunk de A Thousand Clowns en parlant de moi ; “Ennuyeuse, ennuyeuse, ennuyeuse, ennuyeuse, ennuyeuse”. » Elle rit.

« Vous êtes sûre qu’il vous aime vraiment ? » À l’entendre, ça ne semblait pas être le cas.

« Oh ! je suis toujours en train de faire des courses, d’établir des listes pour les commissions ou de coudre ; je passe la moitié de mon temps à coudre. Je fabrique la plupart de mes propres vêtements. J’ai fait ce chemisier. C’est tellement meilleur marché ; j’économise des sommes incroyables.

— Vous n’avez pas beaucoup d’argent ?

— Juste la Sécurité sociale pour l’invalidité. Ça me paye juste le loyer. Il ne me reste pas beaucoup pour la nourriture.

— Bon Dieu, fis-je, je vais vous payer un repas avec dix plats au menu.

— Je ne mange pas beaucoup. Je n’ai pas un très gros appétit. » Elle voyait que je l’examinais de la tête aux pieds. « Je pèse quarante-sept kilos. Mon toubib dit qu’il veut que je remonte à cinquante, mon poids normal. Mais j’ai toujours été mince. J’étais prématurée. Un des plus petits bébés nés dans le comté d’Orange.

— Vous habitez toujours le comté d’Orange ?

— Santa Ana. Près de mon église, l’église du Messie. J’y suis prédicateur laïque. Le prêtre de là-bas, le père Adams, est l’être le plus délicat que j’aie jamais rencontré. Il est resté près de moi pendant toute la durée de ma maladie. »

Il me vint à l’esprit que j’avais trouvé quelqu’un avec qui je pouvais discuter de SIVA. Mais il faudrait un certain temps pour apprendre à la connaître, surtout compte tenu du fait que j’étais marié. Je l’emmenai dans une papeterie, lui trouvai le bon modèle de stylo à encre, puis lui dis au revoir pour le moment.

 

En fait, je pouvais discuter de tout avec mon ami écrivain de science-fiction, Phil Dick. Ce soir-là, je lui parlai du télétype de l’IA qui avait imprimé « États portugais d’Amérique ». Il sembla trouver que c’était une découverte importante.

« Tu sais ce que je crois ? » dit-il, agité, tirant d’un air réfléchi une prise d’une boîte de tabac Dean Swift. « L’aide qui te parvient provient d’un univers parallèle. Une autre Terre qui a suivi un développement historique différent du nôtre. Celle-ci semble ne pas avoir traversé la révolution protestante, la Réforme ; le monde s’est sans doute trouvé divisé entre le Portugal et l’Espagne, les deux plus grandes puissances catholiques. Leurs sciences évolueraient, servantes d’objectifs religieux et non d’objectifs rationnels comme nous en avons dans notre univers. Tu as tous les éléments pour ça : une aide de nature manifestement religieuse, en provenance d’un univers, d’une Amérique contrôlée par la première puissance maritime catholique. Ça se tient.

— Il y a probablement encore d’autres univers parallèles, alors, dis-je.

— Dieu et la science travaillant de concert », dit Phil sur un ton animé ; il plongea à la recherche d’autres boîtes de tabac à priser. « Pas étonnant que la voix te semble si lointaine quand elle te parle. Pas étonnant que tu rêves d’amplis électroniques et de gens qui sont sourds et muets – ce sont de lointains parents à nous qui ont évolué comme ça. Ça pourrait faire un bon roman. » C’était la première fois qu’il voyait dans mon expérience quelque chose qui pouvait être utilisé dans un livre, ou du moins qu’il le reconnaissait.

« Ça expliquerait un rêve que j’ai fait et qui n’avait aucun sens », dis-je.

J’avais rêvé d’une rangée d’aquariums dans chacun desquels l’eau stagnait, recouverte d’une pellicule de graisse limoneuse. Nous scrutions l’intérieur du premier, pour n’y voir que la vie qui existait au fond en train de suffoquer et d’agoniser sous l’effet de la pollution. Nous – les grandes silhouettes qui observaient cela d’en haut – passâmes à l’aquarium suivant et le trouvâmes moins pollué ; du moins pouvait-on voir les petits crabes et crustacés au fond, dans l’obscurité. Dans le rêve, je réalisais tout à coup que nous contemplions notre propre monde. J’étais l’un des petits crabes qui vivaient dans le fond, timidement réfugié derrière un galet. « Regarde », fit la grande mais invisible personne qui se tenait derrière moi ; elle prit un petit objet luisant, une quelconque babiole, et le tendit au petit crabe dans l’aquarium qui était moi. Le crabe émergea prudemment, prit la babiole dans ses pinces, l’examina, puis battit en retraite derrière le galet. Je supposai que le crabe avait filé avec notre babiole, mais non ; il revenait en ce moment avec quelque chose à échanger contre la babiole. Le grand personnage derrière moi expliqua qu’il s’agissait d’une forme de vie honnête, qui ne prenait pas mais échangeait – troc, et non vol. Nous nous retrouvâmes tous deux à admirer cette humble forme de vie, même si je continuais en même temps à comprendre qu’il s’agissait de moi, vu depuis cette position élevée avantageuse, la position d’une forme de vie supérieure.

Nous nous tournions alors vers un troisième aquarium qui n’était pas du tout pollué. Des créatures semblables à des ballons gonflés à l’hélium s’arrachaient à la boue pour monter en frétillant vers la surface, échappant à la mort définitive qui frappait les formes de vie des cuves précédentes. Celle-ci était meilleure.

Cet univers-là était supérieur, réalisai-je alors. Chacun des aquariums avec la vie au fond, sur le dessus du fond dans la boue et la vase – chacun d’entre eux était un univers ou une Terre parallèle. Nous habitions le pire.

« Je suppose, dis-je, que nous sommes le seul univers dans lequel Ferris F. Fremont est venu au pouvoir.

— La pire éventualité, acquiesça Phil. Et par conséquent les habitants des univers plus évolués nous viennent en aide. Et passent de leur monde dans le nôtre.

— Alors tu ne penses pas qu’une puissance religieuse transcendante est à l’œuvre ?

— À l’œuvre, si, mais dans leur monde ; leur monde est religieux, c’est un monde catholique et romain où ils peuvent disposer des sciences chrétiennes. Il est clair qu’ils ont réussi une percée dans un domaine scientifique bien précis, et pas nous – celui où l’on peut se mouvoir entre les mondes parallèles. Nous n’admettons même pas l’existence des mondes parallèles, et ne parlons pas de la technique pour passer de l’un à l’autre.

— C’est pour ça que je n’arrive pas à m’ôter de la tête qu’il s’agit d’un truc religieux, dis-je, et en même temps technologique.

— Sûr, dit Phil.

— L’idée que la science ait pu progresser davantage dans un univers religieux est intéressante.

— Ils n’ont jamais livré de guerre de Trente Ans, dit Phil. Cette guerre a fait reculer l’Europe de cinq cents ans… La première grande guerre de religion, entre protestants et catholiques. L’Europe a été ramenée à la barbarie – au cannibalisme, en fait. Pense un peu à ce que les guerres de religion intestines nous ont fait. Pense aux morts, aux ravages.

— Ouais », acquiesçai-je. Peut-être Phil avait-il raison. Son explication était purement séculière, mais elle rendait compte des faits. L’opérateur IA de rang inférieur m’avait fourni le seul indice solide ; les « États portugais d’Amérique » ne pouvaient être rien d’autre qu’un monde parallèle. Ce n’était pas le futur qui apportait son aide, ou le passé, ou des entités extragalactiques d’une autre étoile – c’était une terre parallèle, imprégnée de religiosité, qui nous venait en aide. Pour prêter main-forte à ce qui devait leur sembler être un monde infernal et plongé dans les ténèbres où la force physique faisait office de loi. La force, et la puissance du mensonge.

Je me dis : nous tenons finalement l’explication. Elle couvre la totalité des faits. Nous avons enfin trouvé le fil directeur correct et solide. L’équivalent du changement de la position apparente du soleil durant l’éclipse qui a corroboré la théorie de la relativité d’Einstein. Infime mais absolument probant. La déclaration d’une IA inférieure opératrice de radio, lisant une enveloppe qu’elle avait trouvée, lisant sans comprendre, par pure obligeance. Simplement parce qu’on le lui avait demandé.

Je parlai alors à Phil de la fille que j’avais rencontrée, Sadassa Silvia. Il n’eut pas de réaction particulière jusqu’à ce que j’en arrive au passage sur Aramchek.

« Son vrai nom, dit Phil, songeur.

— C’est pour ça qu’il était gravé sur le trottoir, dis-je.

— Si tu rêves encore de cette fille, dis-le-moi. Quoi que ce soit.

— C’est important, hein ? Qu’ils aient tout arrangé pour que je rencontre cette fille.

— En fait, ils t’ont dit que c’était important.

— Ils l’ont emmenée chez Progressive. Ils nous ont manipulés tous les deux.

— Tu n’en sais rien. Tout ce que tu sais, c’est ton côté précog qui…

— Je savais que tu allais dire ça, fis-je. “Précog”, mon cul – c’est la manipulation de nos deux vies par des forces supratemporelles.

— Par une bande de savants portugais, dit Phil.

— N’importe quoi. Ils nous ont réunis. Ils ne se sont pas contentés de me dire quelque chose ; ils ont agi. » Je ne pouvais pas le prouver, mais j’en étais certain.

Je n’avais rien dit à Phil, ni d’ailleurs à qui que ce soit, à propos de la pub pour les chaussures. Tout ce que je lui avais dit, c’était que la personnalité de l’expéditeur télépathe avait, récemment, pris le pas sur la mienne durant une période critique et limitée de temps. Entrer dans les détails ne me paraissait pas une bonne idée ; c’était une affaire entre moi et mes invisibles amis. Et, évidemment, les APA. J’avais de toute manière tendance à penser que c’était un problème dépassé ; SIVA avait réglé ça une fois pour toutes. Maintenant, on pouvait passer à des questions positives comme Mlle Silvia, Mme Silvia ou Mlle Aramchek, quel que fût son nom.

Phil disait : « J’aimerais que tu m’en dises plus sur cette histoire d’expéditeur t’imposant sa personnalité. De quel genre de personnalité s’agissait-il ? Est-ce que ça colle avec la théorie des univers parallèles ? »

À vrai dire, c’était le cas ; l’expéditeur était extrêmement pieux, en termes de respect des rites sacrés du christianisme. En cachette, j’avais reçu avec Johnny trois ou quatre des sacrements de l’Église suivant l’ancienne liturgie. Et j’avais vu le monde, non pas comme je le considérais d’ordinaire, mais avec les yeux d’un chrétien pratiquant. C’était un monde différent, complètement différent. Voyant ce qu’il voyait, je comprenais ce qu’il comprenait ; je percevais les mystères de l’Église.

Moi, qui avais grandi à Berkeley et parcouru ses rues en déclamant des chansons de marche de la guerre d’Espagne !

Un grand nombre des événements récents restaient connus de moi seul ; je n’en avais pas parlé à Phil et je n’avais pas l’intention de le faire. Peut-être avais-je commis une erreur en reconnaissant que l’expéditeur télépathe avait pris possession de moi ; on peut faire peur aux gens quand on leur raconte des trucs comme ça… Enfin, le sujet tout entier était effrayant en soi, à vrai dire, et j’avais donc limité mon public à des gens comme Phil et quelques autres personnes du métier. Tout ce qui s’était produit récemment ne pouvait pas être raconté, j’étais parvenu à cette conclusion. Ça se ramenait à la description d’une puissance divine s’emparant de moi et me transformant en son instrument, une puissance bienveillante et un instrument bienveillant, mais c’était néanmoins là les véritables moteurs de la situation, pour le meilleur ou pour le pire.

Si j’acceptais la théorie de Phil selon laquelle cela provenait d’un monde parallèle alternatif, une certaine partie du caractère menaçant disparaissait, mais la terrifiante puissance demeurait, une puissance et un savoir formidables, d’une nature inconnue sur notre monde. Peut-être les anciens récits de cas de théolopsie – cas de possession par un dieu comme Dionysos ou Apollon – décrivaient-ils un événement identique. Même si c’était vrai, ce n’était pas une chose à crier sur les toits. Cette théorie la rendait moins inquiétante, mais pas totalement inoffensive. Rien ne le ferait. Aucun assemblage de mots ne pourrait vraiment rendre compte d’une expérience de cette ampleur, d’une expérience d’une force aussi colossale. Il me faudrait vivre avec en admettant jusqu’à un certain point que cela reste inexpliqué. Je doutais qu’aucune théorie humaine, du moins émanant des gens que je connaissais, puisse complètement subsumer tout ce que j’avais traversé et que je continuais à traverser. Par exemple, la précognition, le fait qu’ils aient su que Sadassa Silvia allait contacter Progressive Records. Bon, s’ils l’avaient secrètement motivée pour qu’elle y aille, ça expliquait tout ; mais ça ne faisait qu’élucider un événement en en révélant un autre encore plus stupéfiant.

De toute évidence, je n’étais pas le seul être humain en leur pouvoir, agissant sur leurs conseils et sur leurs ordres. Mais je trouvais ça plus réconfortant qu’effrayant. Ils auraient envie de réunir ceux qui œuvraient comme extensions d’eux-mêmes. On pouvait dire que c’était une situation du genre « plus on est nombreux, moins il y a de danger ». D’abord, ça apaisait mes craintes de me faire ratiboiser. Mettons que j’aie été l’unique être humain sur cette planète avec lequel ils soient entrés en contact. J’aurais eu trop de choses reposant sur mes épaules. Dans le cas présent, avec l’apparition de Sadassa Silvia, j’étais soulagé de ce fardeau ; ils pouvaient agir par l’entremise de n’importe quel nombre de gens. Et il y avait la fille aux cheveux noirs avec son poisson d’or monté en collier. J’étais déjà passé à la pharmacie pour me renseigner sur elle. Ils ne se souvenaient pas qu’une fille dans ce genre-là eût jamais travaillé chez eux ; le pharmacien s’était contenté de sourire. « Elles ne font que passer, m’avait-il dit. Ces filles du service de livraison. » C’était ce à quoi je m’étais plus ou moins attendu. Mais ça faisait trois personnes dont je connaissais l’existence.

La tyrannie de Ferris Fremont serait renversée par un certain nombre d’extensions du réseau de communications intergalactique. Il semblait évident que j’allais rencontrer et faire la connaissance de ceux qui travailleraient directement avec moi : de ces rares-là et pas davantage. Si j’allais trouver les APA je ne pourrais pas leur en dire plus que ça.

En fait, avais-je réfléchi ce matin-là en roulant vers mon bureau, qu’aurais-je bien pu dire aux APA, de toute façon – qu’ils auraient pu croire, du moins ? Mes expériences avaient pris, peut-être à dessein, une tournure démente ; j’aurais l’air d’un allumé religieux, jacassant sur le Saint-Esprit, une conversion au Christ ou la résurrection, un mélange de contacts extatiques mais irrationnels avec la Divinité… Les APA ou n’importe quel groupe normal rejetteraient mon témoignage dès la première audition. D’ailleurs, Phil avait déjà informé les APA de mes conversations avec Dieu – à leur grande déception et répugnance ; comme l’avait dit la fille des APA : Nous ne pouvons rien faire de ça.

« Tu as l’intention de me répondre ? » demanda Phil.

Je répondis : « Je pense que j’en ai assez dit. Je n’ai pas franchement envie de retrouver tout ça à l’intérieur d’un de ces bouquins que tu écris par douzaines pour Ace ou Berkley. »

Phil devint rouge de colère sous le sarcasme. « J’en sais déjà assez, dit-il. Et je peux reconstituer le reste par mes propres moyens. Alors raconte-moi. »

À contrecœur, je lui racontai.

« La maladie du succotash[7], déclara Phil lorsque j’eus terminé. Une personnalité humaine totalement différente de la tienne. S’imposant, agissant et pensant. Tu sais… » Il frotta le tabac à priser qu’il avait sur le nez d’un air songeur. « Il y a ce truc dans la Bible ; dans la Révélation, je crois que c’est. Les premiers fruits de la récolte, le premier mort chrétien revenant à la vie. C’est là qu’on trouve le chiffre de 144 000. Ils ressuscitent afin d’aider à la création de l’ordre nouveau, comme la Bible l’appelle. Bien avant la résurrection des autres. »

Nous méditâmes tous deux cela.

« Comment dit-on qu’ils reviendront ? » demandai-je. J’avais lu ça mais je n’arrivais pas à m’en souvenir ; j’avais lu tellement de choses.

« Ils se joindront aux vivants, dit Phil, solennel.

— Vraiment ?

— Vraiment. D’une manière qui n’est pas spécifiée. Je me rappelle que quand j’ai lu ça je me suis demandé où ils prendraient leurs corps. Tu as une Bible ici pour que je regarde ?

— Bien sûr. » Je lui donnai un exemplaire de la Bible de Jérusalem, et il trouva rapidement le passage.

« Ça ne dit pas ce que je croyais, dit-il. Mais le reste est quelque part dans le Nouveau Testament, dispersé en différents endroits. À la fin des temps, les premiers morts chrétiens commenceront à revenir à la vie. Si on considère le petit nombre qu’ils étaient à l’époque apostolique, dix ou quinze, puis une centaine, j’aurais tendance à croire que leur première apparition – à supposer que tout ça ait la moindre pertinence – se fera dans le genre un ici, un autre ailleurs, puis peut-être un quatrième, un cinquième, un sixième. Répartis de par le monde… Mais dans quel genre de corps ? Leurs corps, leurs corps d’origine, ne seront pas ceux dans lesquels ils reviendront ; Paul a été clair là-dessus. Ces corps-là étaient corruptibles. Sarx, c’est le mot grec qu’il a utilisé.

— Eh bien, fis-je, les seuls autres corps disponibles sont les nôtres.

— Exact, dit Phil en hochant la tête. Laisse-moi te suggérer la chose suivante. Suppose que l’un des premiers fruits soit revenu à la vie, non pas à l’extérieur dans son propre corps, de quelque sorte que ce soit, mais à la manière du Saint-Esprit – en se manifestant en toi. Dis-moi, en quoi cela serait-il différent de ce dont tu as fait l’expérience ? »

Je n’avais rien à répondre ; je me bornai à le regarder, assis au milieu de ses éternelles boîtes de tabac à priser jaunes.

« Tu te retrouverais d’un seul coup confronté à une entité qui te parlerait en koinè, poursuivit Phil. En grec ancien. À l’intérieur de ta tête. Et qui verrait le monde comme un des premiers…

— O.K., coupai-je, irrité. Je vois ce que tu veux dire.

— Cet “expéditeur télépathe dont la personnalité a pris le pas sur la tienne” est dans ta propre tête. Il émet depuis l’autre côté de ton crâne. Depuis des tissus cérébraux auparavant inutilisés.

— Je croyais que tu penchais pour la théorie des univers parallèles, dis-je, surpris.

— C’était il y a un quart d’heure, dit Phil. Tu sais comment je suis avec les théories. Les théories, c’est comme les avions à l’aéroport international de L.A. : un toutes les minutes. Plutôt qu’un autre monde parallèle, c’est plus vraisemblablement un hémisphère parallèle dans ta tête.

— En tout cas, ce n’est pas moi, dis-je.

— Non, à moins que tu n’aies appris le grec ancien dans ton enfance et que tu l’aies oublié sur le plan conscient. Comme tout le reste, par exemple les informations que tu as soudain détenues à propos de la malformation congénitale de Johnny.

— Je vais passer voir Sadassa Silvia », lui dis-je. Rachel ne pouvait pas m’entendre, heureusement.

« Tu veux dire la revoir.

— Ouais, bon, je lui ai offert un stylo à encre.

— Quelque chose pour écrire, dit Phil d’un air songeur. Un drôle de cadeau à faire à une fille la première fois. Pas des fleurs, des douceurs ou des places de spectacle.

— Je t’ai expliqué pourquoi…

— Oui, tu m’as expliqué pourquoi. On offre un stylo à quelqu’un pour qu’il écrive. Voilà pourquoi. On appelle ça la cause finale ou téléologique – le but de quelque chose. Tous les trucs dans lesquels tu es impliqué en ce moment doivent en définitive être jugés en fonction de leur but ou de leur utilité, pas de leur origine. Si une troupe de babouins philanthropes décidait d’évincer Ferris Fremont, nous devrions nous réjouir. Alors que si des anges et des archanges décidaient que la tyrannie est une bonne chose, nous devrions protester de tout notre cœur. Exact ?

— Heureusement, dis-je, nous n’avons pas à nous inquiéter de cette dichotomie.

— Je suis juste en train de te dire que nous ne devrions pas nous creuser trop la tête à propos de l’identité de tes mystérieux amis ; c’est de leurs intentons que nous devrions nous soucier. »

Je dus en convenir. La seule chose sur laquelle je pouvais m’appuyer était la déclaration de la sibylle romaine à propos des conspirateurs, c’est-à-dire la déclaration faite par l’incarnation du réseau de communications intergalactique – je voyais toujours ça en ces termes. Pour l’instant, il fallait que ça suffise.

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